Décryptage du phénomène BrainRot
Le brainrot n’est pas un bug de l’algorithme, mais un miroir de nos abdications collectives. Un article qui dissèque la stratégie du vide — et esquisse une alternative : rendre la pensée virale.
Lucie Michaut
9/18/20255 min read


Quand Baby Shark prend sa retraite (et devient Tralalero Tralala)
Baby Shark a grandi.
Et il s’appelle désormais Tralalero Tralala.
Tes enfants ont peut-être entre 6 et 12 ans.
Et ce charabia est leur nouveau terrain de jeu.
Le phénomène brainrot.
Traduction littérale : cerveau pourri.
Une tendance née sur TikTok, dopée à l’absurde, qui consiste à saturer l’écran (et le cortex) de sons crétins, de visuels épileptiques et de mots inventés par des IA, ou qui sais-je...
Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas juste “du contenu débile”. C'est pire que ça. C’est le symptôme sonore d’une époque muette. Et ça vient d’Italie.
Tout commence avec Skibidi Toilet. Une série de vidéos 3D moches créées par un studio russe, inspirée de musiques remixées par des beatmakers italiens, qui explosent sur TikTok début 2023. Un homme à tête de toilette danse en boucle. Les enfants deviennent accros. Les adultes paniquent. Et l’algorithme exulte.
En fond sonore : des onomatopées incompréhensibles. Puis l'apparition de personnages un peu spéciaux : “Crocodillo bombardino” (un crocodile avion qui bombarde), “skibidi” (l'homme qui surgit des toilettes), “tung tung sahur” (le bâton), "cappucino assassino" (la tasse ninja)...
Certains parlent de messages subliminaux en lien avec les guerres. De contenus blasphématoires en rapport avec les religions. De théorie du complot. De simples tendances à la mode. Bref.
Pourquoi ça plaît autant ?
Parce que c’est absurde, donc libérateur.
Incompréhensible, donc identitaire.
Répétitif, donc hypnotique.
Sans sens, donc indiscutable.
Mais, le brainrot sature les circuits de dopamine : excitation immédiate, impatience, perte de la nuance, et oubli de la narration (on est loin des contes de fées, certes discutables eux aussi). C’est l’ultra-processed content. Le fast-food sensoriel.
Et quand ça touche les plus jeunes, on entre dans une zone grise. Entre divertissement régressif et colonisation cognitive.
C’est une stratégie virale qui combine plusieurs leviers de désirabilité.
👋 Langage de marque : un wording reconnaissable
👋 Communauté : seuls les initiés comprennent.
👋 Interdit : les mots frôlent le blasphème. Il ne faut pas regarder donc on regarde.
👋 Omniprésence : c’est partout, tout le temps. Et surfe sur les tendances (labubus, Ronaldo, ...) pour rafler les bons mots clés.
Le contenu brainrot : faut-il le craindre, le combattre… ou en tirer des leçons ?
Ou peut-être tout ça en même temps.
Le brainrot — symptôme sonore d’une époque muette
1. Origines & anatomie d’un phénomène
Le brainrot n’est pas un accident de l’algorithme : c’est une mutation culturelle.
On est passé de Baby Shark à Tralalero Tralala, d’une ritournelle enfantine à un chaos sonore et visuel qui colonise l’imaginaire des enfants (et inquiète les adultes).
Chaque vidéo est une micro-bombe sensorielle : couleurs saturées, sons absurdes, narration éclatée. Rien à comprendre, tout à absorber.
Question à se poser :
👉 Ce que nous consommons doit-il toujours “faire sens” ? Ou peut-on aussi vivre dans le non-sens comme terrain de jeu ?
2. Pourquoi ça plaît (et pourquoi ça inquiète)
Le brainrot coche toutes les cases de l’addiction cognitive :
Absurde = libération : on se détache du sens, donc du jugement.
Incompréhensible = identitaire : seuls “ceux qui savent” comprennent.
Répétitif = hypnotique : la boucle crée la transe.
Sans sens = indiscutable : impossible de critiquer ce qui n’a pas de logique.
Mais cette mécanique s’accompagne d’une saturation de dopamine.
Résultat : impatience, perte de nuance, désintérêt pour la narration.
Question à se poser :
👉 Est-ce une simple phase de divertissement… ou un entraînement collectif à l’attention fragmentée ?
3. Le cerveau disponible marketing
De la réclame à la sidération
Il fut un temps où l’on regardait la télévision pour apprendre, où la publicité montrait une lessive et non un “style de vie”.
Aujourd’hui, la distraction est devenue une industrie. Et nous, marketeurs, ses ingénieurs.
Le brainrot n’est pas un bug : c’est une stratégie.
Moins un contenu pense, plus il performe. Moins il exige, plus il s’impose. Plus il s’impose, plus il se monétise.
Nous sommes les chirurgiens de l’oubli
On ne raconte plus. On déclenche.
On ne construit plus de sens. On stimule.
Ce qui compte, ce n’est pas la justesse, mais la friction, la tension, le buzz.
Nous avons contribué à rendre le cerveau disponible, comme un champ qu’on rase avant d’y planter des slogans.
Questions à se poser :
👉 Où plaçons-nous la barre : déclencher des réflexes ou élever des consciences ?
👉 Notre métier nourrit-il… ou abrutit-il ?
4. Et si penser redevenait désirable ?
Imaginons un monde où :
Lire Proust serait plus viral qu’un prank TikTok.
Les marques valoriseraient la nuance, l’effort, le débat.
Le contenu ne serait pas une drogue douce, mais une reliance.
Créer du désir, oui. Mais du désir conscient. Faire vibrer, oui. Mais sans amputer la pensée.
Parce qu’un cerveau disponible n’est pas un cerveau vide.
Et que la vraie influence ne consiste pas à diriger les esprits, mais à les inviter à s’élever.
Exercice pratique : la matrice du contenu
Voici une mini-matrice 2x2 pour analyser un contenu avant de le diffuser (ou de le laisser consommer aux enfants) :
Imagine un carré divisé en quatre cases.
Chaque contenu que tu consommes, ou que tu crées, peut être placé dans l’une d’elles.
Case 1 : Stimulant & qui construit du sens
C’est le meilleur des mondes : un débat qui élargit tes idées, un récit qui t’embarque, un jeu qui te fait réfléchir. Tu ressors nourri, éveillé, encore plus vivant qu’avant.Case 2 : Stimulant & qui nourrit le vide
C’est là que vit le brainrot. Du fast-food cognitif : bruyant, addictif, dopaminé. Tu cliques, tu scrolles, tu rigoles… puis tu oublies tout. Ça excite, mais ça n’élève pas.Case 3 : Apaisant & qui construit du sens
C’est la lenteur féconde : lire, contempler, marcher, écouter une histoire longue. Pas d’explosion sensorielle, mais une digestion lente. Le calme qui t’élargit l’esprit.Case 4 : Apaisant & qui nourrit le vide
C’est l’anesthésie douce : scrolling passif, émission de fond, bruit blanc. Rien de dangereux en soi… mais rien qui construise non plus. Une torpeur confortable qui endort la pensée.
👉 L’exercice : prends un contenu que tu adores (ou que tes enfants adorent). Dans quelle case tombe-t-il ?
👉 Et surtout : comment introduire plus de contenus qui nourrissent le sens, qu’ils soient stimulants ou apaisants ?
👉 Place ton contenu préféré (ou celui de tes enfants) dans cette grille. Où tombe-t-il ?
👉 Que faudrait-il introduire pour rééquilibrer la balance ?
Conclusion : le vacarme et le vide
Tralalero Tralala n’est pas qu’une chanson absurde.
C’est une autopsie sonore de notre abdication collective.
Nous avons troqué la narration contre le stimulus, la réflexion contre le réflexe, le sens contre le scroll.
Et le pire, c’est que cela nous arrangeait.
Mais il reste une voie : viser plus haut, plus lent, plus libre.
Parce que penser peut redevenir désirable.
Et que le vrai luxe, dans un monde saturé de bruit, c’est encore le silence.
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