La stratégie du "simul et dissimulare"

Simul et dissimulare : de César aux géants du marketing, l’art de montrer et de cacher n’a pas changé. Voici comment — et pourquoi — nous aimons ce double jeu.

Lucie Michaut

8/13/20253 min read

L’art des marques : vérité en vitrine, mensonge en coulisse

On applaudit les marques comme on applaudit un comédien que l’on sait menteur, mais qu’on adore voir jouer.

Elles vous sourient, vous parlent de leurs valeurs et d’authenticité comme si c'était une confidence.

Elles plantent un arbre à chaque achat mais lancent quatre collections par saison.

Elles affirment que leur produit est “fait pour durer” tout en préparant l’édition limitée qui le rendra obsolète.

Ce double jeu ne date pas d’hier.

Les stratèges romains avaient un nom pour cela : simul et dissimulare. Montrer et cacher à la fois.

César en fit un outil de guerre : révéler juste assez de ses intentions pour inspirer confiance, en dissimulant l’essentiel de sa manœuvre.

Des siècles plus tard, les états-majors parlent encore de « masquage », de « feintes », de « désinformation ».

Aujourd’hui, les champs de bataille s’appellent marchés, et les armées, “équipes marketing”.

Quand Patagonia vous demande d’acheter moins, est-ce un acte militant… ou la plus brillante des campagnes ?

Quand Ben & Jerry’s dénonce certaines lois, défend-il une cause ou son capital sympathie ?

Quand Coca-Cola repeint ses canettes aux couleurs du recyclage (World Without Waste), croit-elle à son message… ou à votre adhésion à son storytelling ?

Apple, qui promet la vie privée tout en vous enfermant dans son écosystème, maîtrise l’art de la diversion aussi bien qu’un général masquant ses troupes.

Nike, qui érige Colin Kaepernick en symbole tout en produisant dans des usines aux conditions contestées, pratique la même asymétrie : afficher une ligne de front, en cacher une autre.

Et vous ? Savez-vous que vous jouez le jeu ? Êtes-vous complices par confort ou par besoin de croire qu’un geste, même imparfait, vaut mieux que le silence ?

Peut-être que l’ambivalence n’est pas une faiblesse, mais votre modus vivendi.

Une façon de dire : “Mens-moi, mais faites-le si bien que ça passe crème. Et que ça nous arrange tous les deux.”

1. Simul et dissimulare : l’héritage antique du marketing moderne

Les marques n’ont pas inventé l’art de montrer et de cacher.
De César à nos équipes marketing, la stratégie consiste à révéler juste assez pour séduire et masquer ce qui pourrait refroidir.
Ce n’est pas un mensonge frontal, mais une chorégraphie entre vérité et omission.

Question à vous poser :

  • Votre marque assume-t-elle pleinement sa zone d’ombre, ou joue-t-elle le même ballet que tout le monde ?

2. L’ambivalence comme stratégie

Patagonia, Ben & Jerry’s, Coca-Cola… toutes ont compris qu’un discours engagé attire, même si la réalité est plus nuancée.
Ce n’est pas toujours cynique : parfois, l’ambivalence est la seule façon d’agir et de survivre économiquement.
Mais pour le public, cela crée un paradoxe : croire tout en sachant.

Question à vous poser :

  • Votre audience vous croit-elle sincèrement, ou accepte-t-elle consciemment le jeu ?

3. La diversion comme arme

Apple, Nike et d’autres utilisent une asymétrie narrative : mettre en avant une cause ou un combat, pendant que les autres réalités restent dans l’ombre.
En communication, cela s’appelle cadrer le projecteur.
On ne cache pas tout — on oriente le regard.

Question à vous poser :

  • Sur quel aspect de votre marque braquez-vous le projecteur ? Et que laissez-vous volontairement dans l’ombre ?

Exercice – La Carte des Ombres et Lumières

Créez un tableau en deux colonnes :

Lumière (ce que vous montrez) et Ombre (ce que vous cachez)

Exemple : Slogan écologique vs Production énergivore ou Engagement social vs Délocalisation

Règles :

  • Listez 3 à 5 points par colonne.

  • Demandez-vous si cette ombre peut devenir lumière (transparence), ou si elle doit rester dans l’ombre (stratégie).


Nous savons que les marques jouent un rôle.
Elles savent que nous savons.


Et tant que la pièce est bien jouée, nous restons dans la salle, applaudissant à la fin.