Phénomène viral : les bébés IA

Un bébé IA, une blague douteuse, un million de vues. Ce n’est pas l’IA qu’il faut craindre — c’est ce qu’on choisit de lui faire dire. Un texte-coup de poing pour ne pas rire à en mourir.

Lucie Michaut

9/16/20253 min read

De l’absurde à l’ignoble : quand l’IA devient un cirque moral

D’Albert Einstein à Frankenstein, il n’y a pas qu’un pas. Il y a TikTok.

Une tendance inonde les réseaux depuis des semaines. Des bébés générés par IA qui parlent comme dans un PMU à 2h du mat. Blagues de plateau, punchlines vulgaires, insultes, stéréotypes racistes. Le tout servi avec une voix mignonnette, un petit body et des yeux taquins.

Et tout le monde rigole. J'avoue, j'ai aussi rigolé.
Parce que c’est “mignon”.
Parce que “c’est juste des vannes”.
Parce que c’est « absurde » et l’absurde, ça passe.

Mais l’absurde est un excellent camouflage. Il fait rire. Et pendant ce temps, il prend ses quartiers.

Pourquoi ça marche ?
Parce que le cerveau humain adore les contradictions visuelles. Un bébé qui parle comme un adulte fanfaron, c’est une faille cognitive qui déclenche une réaction immédiate. On rit avant de réfléchir. Et souvent, on ne réfléchit jamais.

C’est ce qu’on appelle l’effet de halo. Quand une apparence positive (le mignon, le drôle) contamine notre jugement moral ou critique.

Et c'est ainsi qu'une blague douteuse racontée par un bébé IA devient virale. Alors qu’elle aurait été jugée inacceptable dans la bouche d’un adulte.

Ce n’est pas anodin. C’est pernicieux.
Le système est simple. L’humour désactive la pensée. Le divertissement devient une finalité. Et les outils les plus puissants se mettent à servir le vide. Et on arrive dans le pire scénario à la banalisation de l’ignoble.

Nous avons entre les mains une intelligence capable de créer, d’écrire, de penser, d’analyser, de construire. Mais on l’utilise pour faire parler un nourrisson virtuel qui insulte les mères et moque les minorités.

On préfère divertir jusqu’à pervertir. Et c’est là que le danger commence. Et soyons clairs, ce n’est pas l’IA qui décide. C’est nous.

Et si la vraie question n’était pas “jusqu’où ira l’IA ?” Mais plutôt : jusqu’où sommes-nous prêts à la tirer vers le bas ? Et à nous faire tomber avec ?

Plus grand est le trou, plus spectaculaire est la chute. Et l'intelligence mal orientée finit toujours par se retourner.

Albert Einstein a ouvert la voie à la physique nucléaire. Et quelques années plus tard, Hiroshima s’en est souvenue.

On oublie que Frankenstein n’est pas le monstre. C’est celui qui l’a créé. Dans l'euphorie. Sans précaution.

Le rire comme arme d’anesthésie massive

L’absurde désarme.
Il fait sauter les digues du bon sens. Et pendant qu’on rit, on laisse passer l’indéfendable.

Ce n’est pas nouveau.
Mais ce qui est nouveau, c’est la vitesse à laquelle ça se diffuse. Et la neutralité complice des algorithmes.

Un bébé vulgaire, c’est mignon.
Un adulte raciste, c’est grave.
Un bébé raciste… c’est quoi, alors ?
Une blague ? Une stratégie virale ? Ou le symptôme d’un glissement ?

💬 As-tu déjà rigolé d’un contenu avant de te sentir mal à l’aise après coup ? À quel moment bascule-t-on du comique au complice ?

L’effet de halo : quand la forme absout le fond

On juge avec nos yeux. Et nos yeux aiment ce qui brille, ce qui surprend, ce qui casse les codes.

Le cerveau, lui, suit le mouvement :

  • C’est bien dessiné = c’est bien pensé.

  • C’est drôle = ce n’est pas dangereux.

  • C’est mignon = ce n’est pas méchant.

Et c’est comme ça que l’IA devient le terrain de jeu idéal des idées les plus douteuses.

✍️ Mini-exercice :
La prochaine fois que tu trouves un contenu "marrant", demande-toi :

  1. Si le même message venait d’un visage humain adulte, est-ce que tu rigolerais ?

  2. Qui est la cible implicite de la blague ?

  3. Et surtout : à quoi est-ce que ça t’habitue, sans que tu t’en rendes compte ?

Ce n’est pas l’IA le problème

L’intelligence artificielle ne décide de rien. Elle exécute. Elle prolonge. Elle reflète.

Ce qui fait peur, ce n’est pas la machine.
C’est la direction qu’on lui donne.
Et la facilité avec laquelle on abdique nos exigences.

Pourquoi créer quand on peut faire rire ?
Pourquoi penser quand on peut buzzer ?

💬 L’IA va-t-elle nous dépasser ? Ou est-ce nous qui descendons pour la rejoindre ? Jusqu’où es-tu prêt·e à aller pour divertir ?

Le rire est un prélude. Le cauchemar vient après.

Quand on laisse l’intelligence servir la bêtise, il ne faut pas s’étonner que le pire devienne spectacle.

Einstein a offert les équations.
D’autres les ont fait exploser.

Frankenstein a rêvé de création.
Il a obtenu un monstre.

Aujourd’hui, on crée des créatures numériques pour faire des vues, générer de l’engagement, anesthésier la pensée.

Mais qui aura le courage de les débrancher, une fois qu’elles feront plus rire ?